Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Henri Vernet pour le Parisien. Lu sur http://pourlafrance.hautetfort.com/
Pourquoi cette passion pour Napoléon ?
Dominique de Villepin. C'est moins une passion pour Napoléon que pour cette période de l'histoire de France : la Révolution, le Consulat puis l'Empire. Ma passion, c'est d'essayer de comprendre comment Napoléon va réussir, au sortir de l'Ancien Régime et à travers la Révolution, en dépit de l'engrenage meurtrier qui conduit à la Terreur, à terminer la Révolution et à doter la France d'un gouvernement stable.
Comment maîtrise-t-on les passions libérées au moment de la Révolution pour rebâtir une nation ? Voilà l'enjeu. Or ma conviction, c'est que Napoléon n'y parvient que provisoirement. Il y a des forces profondes et des peurs qui travaillent la société.
Jusqu'à quel point un homme seul peut-il peser sur l'histoire ?
Dans notre imaginaire collectif, le héros est celui qui se bat contre des forces immenses et qui ne l'emporte pas. Dans l'histoire de France, le héros est tragique. Voyez Jeanne d'Arc, Henri IV, Napoléon, de Gaulle : ça se termine mal. Car, pour nous, le héros est celui qui défie l'histoire, fait reculer les bornes du possible, s'attaque à des frontières surhumaines. Et qui, à travers sa chute, ensemence pour l'avenir. Le héros qui ferait son travail, aurait des résultats mais mourrait tranquillement dans son lit n'intéresse personne. Nous sommes un pays nourri d'épopées. Nous croyons - dans la grande tradition judéo-chrétienne - qu'il faut se lever et être debout face à des forces qui, souvent, nous balayent.
« Nous ne pouvons pas nous permettre d'échouer »Eprouvez-vous aujourd'hui un sentiment de solitude ?De solitude, oui. Mais je l'ai toujours eu. Même au soir de l'élection de Jacques Chirac en 1995, mon sentiment dominant n'a jamais été celui de la liesse mais, au contraire, l'inquiétude et l'angoisse : comment faire en sorte de ne pas décevoir ? Je dis donc aujourd'hui à ma famille politique bravo pour l'énergie, bravo pour la volonté, pour cette confiance qui est là, mais ne nous satisfaisons pas de cet état de grâce. Veillons à ce que les résultats soient très vite au rendez-vous pour répondre à l'attente des Français. Nous ne pouvons pas nous permettre d'échouer. Nous devons mettre toutes les chances de notre côté. Et pour cela, nous avons besoin de davantage de débat.
Approuvez-vous la politique d'ouverture ?Bien sûr, mais à condition que l'ouverture nous grandisse, qu'elle nous ouvre à d'autres idées et à davantage d'actions possibles, sans compromission. Elle ne doit pas diluer notre propre identité, pas plus que celle des personnalités extérieures qui acceptent de nous rejoindre. Celles-ci doivent pouvoir nous apporter la force de leurs expériences et de leur conviction, en toute indépendance. Le risque dans notre pays, c'est que la course aux honneurs et aux places, le développement d'un esprit de cour, par la flatterie, la peur et l'intérêt, tuent l'esprit critique. Je souhaite que la France ait avec elle toutes les forces de l'esprit : les arts, les sciences et, bien sûr, la grande littérature. Je veux avec force qu'on évite le conformisme, cet unanimisme stérile. Le problème n'est pas de gouverner en sachant jouer des vanités, comme Napoléon savait si bien le faire.
Vous visez qui ? Attali, Lang, Védrine, Rocard ?Certainement pas ! J'ai beaucoup d'estime pour chacun, et je me réjouis que des gens de talent puissent apporter leur concours. Nous avons besoin que s'expriment des tempéraments, des personnalités fortes, mais pas des personnalités qui seraient tentées de se rallier en se reniant.
« Je veux éclaircir le mystère Clearstream »Vous répétez que vous êtes, dans l'affaire Clearstream, non pas coupable mais « la » victime... Je suis injustement attaqué. L'affaire Clearstream, ce sont des centaines de victimes citées dans les listings falsifiés. Vouloir la réduire à une simple rivalité politique serait prendre le risque d'une erreur judiciaire. Je n'ai fait que mon devoir comme ministre des Affaires étrangères puis comme ministre de l'Intérieur en cherchant à évaluer des menaces pour les intérêts de la France. Je me bats pour la vérité et pour le respect de notre Etat de droit. Mais cela suppose la sérénité de l'instruction, alors que nous sommes confrontés à des atteintes permanentes au secret de l'instruction, avec des pièces sorties de leur contexte. Le 13 septembre
(NDLR : jour de sa prochaine audition par les juges), je répondrai à toutes les questions des magistrats comme un citoyen ordinaire, et je pense que ce jour-là, la vérité fera un grand pas en avant. Je refuse tout avantage ou privilège : c'est pour cela que je n'ai pas réclamé que le dossier soit transmis à la Cour de justice de la République, comme j'aurais pu le faire.
Vous dénoncez un complot ?Je ne crois pas à la théorie du complot. Mais je connais les logiques personnelles, politiques et médiatiques ainsi que, hélas, la lâcheté du système. La chasse en meute est tellement naturelle que bien peu osent se dresser et crier à l'injustice. Ce que je veux comprendre, c'est comment une affaire industrielle et internationale s'est peu à peu exclusivement transformée en une affaire politique, niant le tort qui a été fait à de nombreuses parties civiles qui ne peuvent être considérées comme marginales. Rien ne vient aujourd'hui expliquer ce tour de passe-passe. Je veux contribuer à éclaircir ce mystère.
Avez-vous le sentiment qu'il y a une rupture dans le pouvoir ?Les vraies ruptures se mesurent à l'ambition des politiques mises en oeuvre et aux résultats obtenus. Si, dans deux ans, nous parvenons à baisser le taux de chômage de plus de deux points, comme mon gouvernement l'a fait dans les deux dernières années, j'en serai très heureux. La rupture, c'est d'aller plus loin, plus vite et plus fort. Si nous parvenons à dynamiser notre commerce extérieur, notre compétitivité, notre croissance pour atteindre les 3 ou les 4 %, alors, oui, je dirai que c'est une rupture...
Comprenez-vous que les relations de la France avec les Etats-Unis prennent un tour différent ?Le souci d'avoir avec les Etats-Unis une relation vivante et exigeante est légitime. Développer les relations avec les Etats-Unis, oui. Faire preuve de soumission vis-à-vis de l'administration Bush, ce serait une erreur monumentale.
C'est le cas ?Pour éviter un tel risque, il faut asseoir nos gestes diplomatiques sur des principes forts. Par exemple, aller en Irak pour assurer le peuple irakien de notre solidarité, très bien. Mais cela suppose deux préalables :
1. Qu'il y ait un vrai gouvernement de réconciliation nationale à Bagdad, ce qui n'est pas le cas.
2. Que cela ne passe pas pour un message d'accommodement vis-à-vis de Bush. Or c'est le risque. En 2003, notre politique a évité une crise entre l'Orient et l'Occident, et le discrédit total des Nations unies. Ne nous renions pas ! N'ayons pas honte de ce que nous avons fait ! Il faut rappeler que rien ne sera possible en Irak tant que les Américains n'auront pas fixé un calendrier clair de retrait de leurs troupes. Ce sera le débat central de l'élection présidentielle américaine.
Pensez-vous que l'action de Jacques Chirac sera, un jour, mieux reconnue ?J'en suis convaincu. En politique, les pages se tournent brutalement, mais je crois qu'il faut toujours éviter l'ingratitude. Jacques Chirac a droit à notre reconnaissance et à notre respect. Je me rappelle les égards et les gestes de Jacques Chirac envers François Mitterrand à la fin de son mandat. Il y a là une tradition républicaine qui doit continuer de nous inspirer.
On vous sent impatient de retrouver la vie publique...Il faut savoir reprendre son souffle, faire autre chose. Il y a mille façons de servir son pays quand on l'aime. On ne peut pas travailler comme je l'ai fait dix-huit heures par jour pendant quinze ans en préservant sa fraîcheur, son enthousiasme, sa capacité à renouveler ses idées. On a besoin de se ressourcer. Pour moi, c'est un moment privilégié. J'ai enfin du temps que je peux partager avec de nombreux Français. C'est la source de beaucoup de bonheur.