Il y a des juxtapositions de faits divers malheureuses. Unseptuagénaire mis en détention après avoir blessé les femmes qui s'apprêtaient à le voler, les agresseurs de policiers à Corbeil-Essonnes condamnés à de la prison fermesans mandat de dépôt, donc laissés libres : vous ne comprenez pas, et vous le dites. Depuis le retour de la sécurité au-devant de la scène médiatique, vous êtes nombreux à critiquer le travail de la justice, supposée laxiste, partiale, défendant la délinquance des banlieues de meilleur gré que toute autre. De ces derniers faits divers émerge une interrogation plus angoissée que jamais sur le fonctionnement de l'institution, et sur la légitimité de ses avis. Vous le dites d'emblée, les conséquences pour le fonctionnement démocratique peuvent être terribles. "L'État de droit, comme ils disent place des Vosges" (gramuchon) Il y a d'abord vos reproches, cinglants. L'indignation est massive, violente, devant la mise en détention de René Galinier. On s'identifie facilement à lui. Un homme âgé, isolé, résidant sans histoire d'une petite ville de province : la normalité même, ce "comme tout le monde" du peuple, que vous jugez méprisé par des institutions qui, pourtant, émanent de lui ; ce "comme tout le monde" du bon sens, ressenti comme battu en brèche complaisamment alors qu'il aurait quelque chose à dire. Le geste de "défense" (légitime ou non), vous dites le "comprendre". "Un homme comme vous, comme moi, réveillé au cours de la nuit par deux donzelles dont le but est de cambrioler le dormeur, comment aurait-il pu réagir ?" "Allez-y, introduisez-vous chez les gens, volez-les, agressez-les" (la Vigie) Vous poussez alors les magistrats dans leurs retranchements. "Si je comprends bien, l'honnête citoyen n'a aucun moyen de se défendre... On peut le tuer, le voler, le torturer, l'insulter, tout le monde s'en f... . La police manque d'effectifs et de moyens : quand on l'appelle et qu'elle arrive, tout est fini" (Linou30). "Il est recommandé de se laisser torturer, battre, blesser, violer, voler, humilier et séquestrer sans broncher, car les bandits sont les rois et la victime n'a aucun droit, surtout pas de se défendre" (Shaman). Compte tenu des circonstances, "quel magistrat ayant aussi peu de compassion pour entauler un pépé qui n'a fait que défendre ses biens ? Bien sûr, il me répondra que l'on ne doit pas faire justice soi-même, mais il y a des cas où l'on devrait se faire voler ou se faire tuer sans se défendre ?" (jc80). "Le monde à l'envers" (Émeraude) Des propos emportés, sans doute, mais qui disent une incompréhension de fond : la justice est-elle toujours rendue au nom des citoyens ? C'est là l'essence même de l'institution qui est interrogée. "Les magistrats sont les seuls, en France, à n'avoir jamais de comptes à rendre dans l'exercice de leur profession, seraient-ils donc irresponsables au sens légal du terme ? Il va falloir que cela change" (Georges). "Faudra-t-il en arriver au système américain et élire les magistrats pour éviter de tels détournements de la loi ?" (JPL). L'exemple revient fréquemment : "La mise en place d'un jury populaire permettrait peut-être d'avoir une justice plus à l'écoute de la population." C'est, en effet, cela que vous demandez, dénonçant "une confiscation du pouvoir" (A.g.) par le monde judiciaire. Le pouvoir des juges n'apparaît plus comme seulement décisionnel. Vous lui reprochez une logique autarcique, qui s'exempte de rendre raison de ses avis. "La justice est rendue au nom du peuple français, lequel devrait tout de même avoir un minimum de droit de regard sur ce qu'en font les juges" (Polo). "Je préfère une réforme du système judiciaire dans ce sens que savoir que mon voisin s'arme pour protéger sa vie", dit milarepa avec plus de nuance. "La vendetta n'est pas une réponse rationnelle à la délinquance" (Pat the French) Pour autant, le problème reste entier lorsque la volonté du peuple souverain s'incarne dans une opinion publique par définition manipulable. A fortiori lorsque l'espace politico-médiatique est monopolisé par le thème sécuritaire. Le geste de René Galinier a, de son propre aveu, été mû par la peur. Suffisant, selon certains comme Kergoff, pour faire de lui "un honnête homme victime de l'explosion de la délinquance". "Après trois ans à surfer sur les faits divers, Nicolas Sarkozy a quand même réussi à distiller la peur. Au fait, la proposition de Hortefeux pour sécuriser les millions de personnes âgées, ça devient quoi ?" (pascal 39). Pat the French, comme d'autres, souligne le risque d'une "exploitation" de l'affaire par des politiques qui "attisent des braises qu'ils circonscriront difficilement", remarquant avec justesse que la plupart des commentaires "laissent penser qu'une punition physique doit sanctionner le vol". "Gardons la tête froide" (alpen) Si la justice doit être rendue au nom des citoyens, quelle place accorder à leurs émotions, leurs angoisses, leurs colères ? Ont-elles leur place dans les jugements rendus ? "La question n'est pas de savoir comment nous réagirions, la question est de s'assurer que toute personne qui tire sur une autre soit jugée pour ça" (milarepa). Vous le dites, la "peur légitime" (pat 73) du prévenu devant les cambrioleuses ne peut suffire à fonder à elle seule la légitime défense, dès lors qu'il y a disproportion entre la menace réelle et sa réponse. "La loi du talion est interdite dans notre juridiction, et c'est normal. La justice n'est pas là pour définir qui est le gentil ou le méchant, mais pour faire appliquer la loi", rappelle jc. On ne peut permettre, alors, que "l'assassinat de femmes voleuses soit chose normale" (pascal). Un autre débat est celui qui consiste à demander, pour le fonctionnement de la justice (et donc des prisons) ainsi que celui de la police, les budgets dont ils sont privés. "À ceux qui plaident le recours à des pratiques de vigilance, je dirai simplement qu'ils payent des impôts pour que l'État leur garantisse la sécurité. Si cette police n'est pas bien faite, qu'ils votent en conséquence. Une dérive n'est pas une politique : c'est un mauvais réflexe" (alpen). Reste que la défiance envers la justice est présente dans l'opinion, signe, sans doute, d'un dangereux "malaise" envers les institutions, qui pourrait s'étendre au fonctionnement démocratique lui-même. "La justice mesure combien l'écart s'est creusé avec les Français. La pente est glissante" (Rems).
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