Revue de presse - valeurs actuelles du 22 juillet 2010
La mobilisation policière soumet les bandes à rude épreuve. Mais la barbarie ordinaire gagne du terrain : on meurt désormais pour un paquet de cigarettes.
C’est le souci de chaque heure de Brice Hortefeux. Et pour tous les Français, la mauvaise nouvelle qui vient masquer la bonne – une délinquance générale en baisse de près de 4 % sur les six premiers mois de l’année. De fait, malgré les succès remportés par la police contre le crime organisé, l’hyperviolence spontanée n’a jamais défrayé la chronique avec autant de régularité. Il ne s’agit pas ici de la délinquance structurelle, à la fois inévitable et sur laquelle les politiques peuvent agir, à condition de le vouloir : en Île-de-France, par exemple, la criminalité organisée a baissé de près de 12% entre janvier et juin, grâce, notamment, à l’action menée, depuis Bobigny, par le préfet Christian Lambert.
Ce qui est en cause est à la fois plus simple et plus grave qu’une question de police : la désocialisation croissante d’individus pour lesquels toute norme a disparu, et avec elle le respect le plus élémentaire de la vie humaine.
En 2005, en marge de la prétendue “révolte des banlieues”, on avait découvert que pour certains, tuer s’apparentait davantage à un réflexe qu’à un acte réfléchi en liaison avec une situation pseudo-révolutionnaire. Jean-Claude Irvoas, battu à mort parce qu’il osait photographier du mobilier urbain installé par l’entreprise qui l’employait dans un quartier “sensible” d’Épinay-sur-Seine, fut la première victime symbolique de cette sauvagerie.
L’année suivante, à Marseille, ce fut le tour de Mama Galledou, l’étudiante franco- sénégalaise que des voyous – tous mineurs au moment des faits – transformèrent en torche vivante parce qu’elle avait le malheur de voyager dans un bus qu’ils avaient décidé d’incendier pour se distraire.
Les habitants des zones de non-droit, premières victimes de l’ultraviolence
On s’approchait alors du premier anniversaire des émeutes d’octobre et novembre 2005, et la gauche, dans un bel ensemble, avait voulu voir dans ces faits divers tragiques l’expression extrême d’un mal-être politique et social. Dominique Strauss-Kahn, déjà candidat potentiel à la présidence de la République, avait même eu ce mot malheureux : « Nicolas Sarkozy serait bien inspiré de retirer les cars de police dans les cités afin que le premier anniversaire des violences de l’an dernier ne tourne pas au drame. »
On l’a compris : pour les tenants de la fameuse “culture de l’excuse”, que dénonce sans relâche le criminologue Xavier Raufer (lire aussi sa chronique page 23), les vrais responsables des “violences” passées et présentes ne sont ni les assassins de Jean-Claude Irvoas ni ceux de Mohamed Laidouni, battu à mort le 26 juin dernier pour avoir voulu établir un constat à la suite d’un accrochage, mais les forces de l’ordre qui, par leur seule présence, constituent une provocation. Et pourquoi pas, en dernière analyse, les victimes elles-mêmes qui, si elles étaient restées chez elle, seraient encore de ce monde ?
Il faut pourtant se souvenir de qui prononça le premier le mot “racaille”, lequel, paraît-il, embrasa les banlieues en 2005. Non le ministre de l’Intérieur d’alors mais une habitante d’Argenteuil d’origine maghrébine qui, ayant aperçu Sarkozy, l’appela au secours : « Cette racaille qui nous terrorise, quand allez-vous nous en débarrasser ? »
Cinq ans plus tard, l’évidence s’impose : de vrais succès ont été remportés dans la lutte contre les bandes organisées, mais la violence gratuite se généralise. Et ce, en dehors de tout contexte politique. Parfois même, elle prend une dimension “ludique” : dans les lycées de banlieue, depuis déjà quelques années, c’est à qui agressera son professeur le plus spectaculairement, la scène, filmée avec un téléphone portable, étant aussitôt diffusée sur Internet. Le 14 juillet 2010 a vu la naissance d’un nouveau “jeu” : prendre pour cible une fenêtre ouverte avec une fusée de feu d’artifice, dans le but revendiqué de déclencher un incendie. Mission accomplie : dans le XXe arrondissement de Paris, une bande a ainsi réduit en cendres l’appartement d’un couple de retraités. La femme, grièvement blessée, était entre la vie et la mort à l’heure où nous mettions sous presse, son mari, aveugle, ayant pu être miraculeusement évacué par les pompiers.
On comprend que, dans un tel contexte, le ministre de l’Intérieur ne souhaite plus communiquer “à chaud”sur le nombre de voitures brûlées, à l’occasion du 14 Juillet ou de la Saint- Sylvestre, le moindre chiffre faisant instantanément l’objet d’un record à battre.
Brice Horfefeux le rappelait, le 24 juin, en présentant un premier bilan de l’action policière menée en Seine-Saint-Denis par le préfet Lambert : « À problème ciblé, réponse ciblée. »
S’agissant du trafic de stupéfiants, les succès sont au rendez-vous, comme le prouve la hausse spectaculaire des saisies de drogues (+ 4,4 % en 2009 pour le cannabis ; + 17% pour l’héroïne) et l’augmentation de 60 % du montant des avoirs financiers saisis.
Même chose pour la vidéosurveillance. Le 17 juin dernier, par exemple, une trentaine de jeunes délinquantes ont été repérées par des caméras alors qu’elles montaient dans le RER D à la station Pierrefitte-Stains. Signe particulier : la bande était armée de barres de fer et de câbles électriques. Grâce à leur identification, les policiers ont pu les cueillir dès leur arrivée à Paris, où elles s’apprêtaient à en découdre avec une bande rivale.
Mais pour utile qu’elle soit, ce n’est pas la vidéosurveillance qui empêchera qu’un lycéen soit poignardé pour avoir refusé de donner son portable ou un retraité d’être battu à mort dans le secret de son pavillon, pour quelques dizaines d’euros. Ce n’est pas elle, non plus, qui empêchera des bandes de “jeunes” de tirer à balles réelles sur les policiers pour venger la mort d’un malfaiteur (comme le week-end dernier à Grenoble) ni des hordes de gitans de mettre à sac un centre-ville dans la matinée du 18 juillet à Saint-Aignan, dans le Loiret- Cher, avant de s’attaquer à la gendarmerie…
La réponse, plus que jamais, se trouve du côté des magistrats. Comment espérer dissuader des candidats à la délinquance qui voient des incendiaires de commissariat ou des agresseurs de policiers relâchés le lendemain de leur interpellation ?
Bien davantage qu’un problème de sécurité publique, nous sommes bel et bien confrontés au choc explosif de deux cultures : l’une, d’origine rousseauiste, considérant le crime comme relatif dès lors qu’il est commis par des populations réputées victimes de la société ; l’autre ayant fini par déifier la violence, devenue une fin en soi. Rien d’autre, en somme, que l’« état de nature » décrit par Hobbes (l’anti-Rousseau), cet état d’avant l’État où l’homme n’est jamais qu’un loup pour l’homme.
La frontière entre civilisation et barbarie aurait-elle cédé ?
Comment expliquer autrement les agressions dont sont victimes, non seulement les policiers – ce qui n’est pas nouveau –, mais désormais les pompiers, les médecins et les assistantes sociales exerçant en banlieue ? Tenir pour son ennemi celui dont la raison d’être consiste à vous secourir, voilà bien l’inversion morale absolue.
La frontière établie, depuis Platon, entre civilisation et barbarie seraitelle en train de céder ? Pour l’auteur de la République, en effet, les guerres entre cités grecques restaient “civilisées” en ce sens que, conscients d’appartenir à la même culture, les belligérants s’interdisaient de passer certaines limites afin de pouvoir, un jour, se réconcilier. Limites que le barbare, animé par son ubris (démesure), ignore d’autant plus facilement qu’aucun sentiment d’appartenance commune ne le rapproche de l’autre.
Qui dira les dégâts provoqués par le communautarisme ethnique et autres “discriminations positives” sur une cohésion nationale déjà fragilisée par bientôt quarante ans de crise économique et par une immigration qui, depuis 1974, tient de moins en moins au besoin de main-d’oeuvre et toujours plus à la recherche d’avantages sociaux ?
Une chose est sûre : ce n’est pas en instituant des garderies communautaires pour « enfants noirs », comme le propose Kémi Seba, ancien leader du groupe Tribu Ka et représentant en France du New Black Panther Party, dans le Parisien du 13 juillet, qu’on fera retomber les tensions. Cela risque même d’être tout l’inverse. Eric Branca
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