Entrevue avec Le Parisien
Gisèle Halimi, 84 ans, avocate féministe, a souvent défendu dans sa carrière des femmes victimes de viol. Elle fait écho dans cet entretien aux regrets des féministes françaises : trop de réactions de compassion à l’égard de Dominique Strauss-Kahn et peu d’empathie pour cette femme de ménage, l’accusatrice.
Que vous inspire le spectacle de la justice auquel nous assistons depuis deux jours à la télévision autour de Dominique Strauss-Kahn ?
GISÈLE HALIMI. C’est pour moi une leçon d’indépendance et d’intégrité de la justice américaine. Le fait de voir Dominique Strauss-Kahn, un homme puissant, encadré par des policiers, au tribunal, cela montre à quel point il n’y a pas dans ce pays de justiciable VIP! Mais bien sûr, on ne peut pas s’empêcher de ressentir une sorte de commisération à l’égard de la chute d’un homme.
A vous entendre, DSK est potentiellement coupable ?
C’est cela dont il s’agit. Il est possible que de tels actes aient été commis et je suis même persuadée que si cette affaire était arrivée en France, on n’en aurait rien su. Ce qui se passe aux Etats-Unis, avec la brutalité de cette justice, réaffirme la dignité de la femme et la protection des plus faibles. Il faut le dire, c’est une victoire des féministes américaines qui, depuis des années, ont travaillé pour démontrer que le harcèlement sexuel, le viol étaient des faits graves.
Votre position est totalement opposée à celle de Robert Badinter, pourtant comme vous à gauche, lorsqu’il affirme que DSK est victime de « mise à mort médiatique » et son accusatrice protégée.
C’est la levée de boucliers des amis. Moi, je veux juger cette affaire en tant que femme et, pour moi, cette femme dit la vérité. Comment voulez-vous croire qu’une simple femme de ménage, noire, mère célibataire de surcroît, ne dise pas la vérité? Quel serait son intérêt? J’ai souvent vu au cours de ma carrière le même processus : cette femme est aujourd’hui dans la colère, la révolte. Elle a osé parler. Mais bientôt, on va fouiller dans sa vie privée, on va dire qu’elle a pris un pot avec untel ou untel, on va interroger sa famille. J’ai commencé à lire ici ou là des dénigrements. Mises en cause, ces femmes finissent par sombrer dans une dépression et regrettent d’avoir porté plainte. L’objectif est bien sûr de les contraindre au silence. C’est pour ces raisons qu’elle est actuellement protégée par la police et la justice américaines.
Les féministes françaises trouvent qu’en France les réactions politiques ne manifestent guère d’empathie pour cette victime. Etes-vous d’accord ?
De ce point de vue, je suis effectivement déçue par la gauche. Il ne me semble pas avoir entendu les Aubry, Guigou, Royal exprimer leur compassion pour la victime. Je le regrette car s’il y a une chose qui doit prévaloir sur l’amitié, l’esprit de clan, c’est le respect des femmes. Ou alors, qu’on ne nous parle pas de socialisme.
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